Le Moment, Juin 1936 (Année 4, no. 385-408)

1936-06-01 / no. 385

BUCAREST. 4TM ANNEE -IT gsa direction, redaction ADMINISTRATION, PUBLICITÉ 15, Rue Brezoianu Téléphone» Direction 4.25.34 Redaction, Administration i 3.10.40 IMPRIMER IE ru» Aristide Demetriade — Tel., 4.1M5.I tir. télégr. Moment Bucarest Directeur : ALFRED HEFTER 8 Pages 3 Let MLe Moment Journal de Bucarest ________Quotidien illustré d’informations Politiques, Economiques et Sociales 81Bill LE SINISTRE VIEILLARD Mme de Maintenon écrivait au duc de Noailles, il y a juste deux cent trente-cinq » ans, cinq mois et cinq jours : „Mon expérience à la cour m’a appris que rien n’y était plus rare que l’à-propos.” Et ceci pour­rait bien par parenthèse, nous changer un peu les idées sur les façons du grand siècle; mais ce n’est point mon „propos”. Je vou­lais dire seulement que notre mé­moire n’est pas une faculté de cour, puisque son éducation est parfaite, son opportunité toujours admirable, son tact exemplaire. Aucun de nos souvenirs ne se perd; ils se pressent dans la cou­lisse; on ne peut les laisser entrer tous en scène : la mémoire est le régisseur qui les choisit ou, com­me on parle aujourd’hui, qui les „sélectionne”. Elle s’acquitte de cette besogne délicate avec une sorte d’infaillibilité, et les images du passé qu’elle nous représente s’accordent aux circonstances ac­tuelles si bien qu’elles trouvent moyen de nous plaire ensemble par la surprise qu’elles nous cau­sent et par le sentiment qu’elles nous donnent de les avoir atten­dues. Ainsi, hier, tandis qu’une foule innombrable, c’est-à-dire dont le compte ne saurait être fait préci­sément — et qu’est-ce qu’un chif­fre sans précision? — défilait de­vant le mur des fédérés, ma mé­moire qui sait ce qui m’intéresse, a saisi l’occasion d’évoquer devant mes yeux celui qu’on appelait, il y a soixante cinq ans „le sinistre vieillard”. Les Français qui ont la réputa­tion de ne pas savoir la géographie, savent encore moins l’histoire, surtout celle de l’avant-veiile. J’espère donc qu’ils ne se forma­liseront pas si je me permets à titre de témoin, de leur apprendre que „le sinistre vieillard” était , Monsieur Tliiers. •J’eibprunte ce vilain adjectif à ïa littérature d’extrême gauche d’alors, sans trop le lui reprocher. Le mot vieillard n’est pas fort ri­che en ces épithètes de nature que l’on nomme homériques. Je n’en connais, pour ma part, que deux : vieillard, sinistre et petit vieux bien propre. Maigre choix. A cette époque lointaine, je sa­vais moi-même l’histoire encore plus mal qu’aujourd’hui: j’avais peut-être des excuses. M. Thiers, cependant n’était pas pour moi un inconnu. D’abord j’avais, dans mon milieu fort bourgeois, enten­du parler de lui avantageusement, bien qu’on lui reprochât déjà ses „complaisances pour les rouges”. Puis, il était né la même année que mes deux grands-pères en 1797 et ces coïncidences frappent l’imagination d’un enfant qui ne manque pas d’y soupçonner quel­que symbole mystérieux. Enfin, il était le premier mort que j’eusse vu de mes yeux à visage décou­vert. Il est clair que l’on ne doit pas prendre ces mots à la lettre, puis­que, selon les manuels, M. Thiers n’était pas mort en 1871. Il l’était pour moi, parce qu’aux dernières heures de la Commune, réfugié a­­vec mes parents dans la banlieue de Paris, je voyais passer presque chaque jour le coupé qui transpor­tait le chef du pouvoir exécutif de Versailles au Mont Valérien. On sait qu’il se flattait de certaines ressemblances avec Napoléon. Il en est au moins deux que les plus malveillants ne lui chicaneront pas : il montait à cheval assez médiocrement et il pouvait dormir à son gré, „faire une heure”, com­me disent les soldats de seconde classe — l’empereur devait avoir une autre façon de s’exprimer. Il faisait une heure en allant de Ver­sailles au mont Valérien. Je ne l’ai jamais vu que les yeux fermés, immobile comme on l’est entre deux cierges, aussi renversé quelle permettait la faible inclinaison d’une carrosserie qui n’avait rien d’aérodynamique et le teint extra­ordinairement jaune. Je n’osais demander à mon père s’il était mort; j’avais peur qu’on ne me ré­pondit qu’il n’était, et je préférais garder mes réflexions pour moi; mais j’ai cru longtemps qu’on l’appelait le sinistre vieillard par­ce qu’on l’avait vu passer sur la route, jaune et endormi dans sa voiture comme je l’avais vu. Je n’ai compris que beaucoup plus tard qu’on parlait au figuré. Hier, comme, les yeux femes moi aussi, j’écoutais à la T. S. F. le brouhaha de la manifestation, j’ai eu soudain une réplique de ïna vision ancienne. Le sinistre m’est apparu à la renverse dans son coupé que traînait un cheval maigri par les privations du siège. „II ne va pourtant pas, me suis­­je dit, au mur des fédérés. Puis j’ai pensé : „Peut-être à celui des otages...” Abel Hermant de l’Académie Française Le monde civilisé est préoccupé au plus haut degré, par la nouvelle orientation de la révolution russe. m * m La période de bouillonnement fu­rieux est passée. Les contempo­rains ne sont plus frappés de la stu­peur d’apprendre que la folie collec­tiviste slave éclate dans une nou­velle crise. Les éxaltations de la mystique rouge sotit de moins en moins fréquentes. La révolution bolchevique sort petit à petit de son âge ingrat, qui a fait connaître à l’humanité des aspects insoupçon­nés de violence et de brutalité. Le collectivisme autoritaire devient de moins en moins dur et intransi­geant. Les citoyens soviétiques, qui avaient perdu l’esprit d’initiative, constatent que, n’ayant plus la peur de vivre, ils peuvent se permettre de penser individuellement. Ayant un minimum d’existence assuré, ils apprennent qu’autour d’eux s’ou­vrent des usines nouvelles, des fa­briques gigantesques sans que per­sonne ne se fasse de soucis pour la concurrence ou pour la faillite. Florian Parmentier, qui vient de rentrer d'un long voyage d’éiutjes en Russie, écrit dans „L’Etoile, rouge, Voyage au pays des So­viets“ : „Si telle ou telle chose ne va pas, les Soviets prennent un décret, et de nouvelles mesures sont mises en application, quitte à les modifier encore, si elles ne donnent pas ce qu’on attendait. L’argent n’est pas l’unique motif des actions humai­nes. Les machines ne servent pas les intérêts égoistes de ceux qui ont pu les acheter. Les ouvriers ne sont pas exclus du privilège des vacan­ces payées, des cures d’eau ou des ■séjours au bord de la mer. Ils pren­nent bien garde, au reste, de ne point saboter leur travail, car ils n’oublient pas qu’un tel et un tel ont été fusillés pour négligence“. Les paysans soviétiques, ne sont plus, parait-il, des serfs de l’Etat, tenus en respect par la garde rouge; Ivan le Terrible et Pierre le Grand ne sont plus les modèles de Staline, ainsi qu’on l’avait affirmé, et l’at­mosphère de légende se dissipe pe­tit à petit. On a commencé à voir que Louis XVI ne fut ni le monstre, ni le ty­ran stigmatisé par les Jacobins, mais un pauvre homme animé de très bonnes intentions, malheureu­sement mal entouré, souvent mal conseillé, qui aurait voulu avoir du génie politique, mais qui n’avait que le pouvoir que lui insufflait par­fois Marie Antoinette. Le temps prend toujours la pa­tience de classer les hommes et les évènements. Il constate que par­fois ils étaient moins noirs qu’on ne les peignait, et moins rouges qu’ils ne le voulaient paraître. Lisez aujourd’hui les historiens tout nouveaux, et vous serez surpris d’apprendre — horribile dictu! — que La Fayette ne joua parfois qu’un rôle douteux, que Robespierre lui-même ne lut pas toujours un idéaliste incorruptible, et que Dan­ton se complaisait d’avantage dans les affaires que dans la politique. Les grandes époques révolution­naires créent des héros fantoches, et dans la même mesure des jours de gloire et de terreur, qui n’ont été en réalité que de pénibles inci­dents. Qui aurait dit que le 9 Thermi­dor eut été le produit d’une peur atroce et non un acte de terreur et de courage? Et pourtant, on vient de l’établir grâce à d’innombrables documents. Dieu sait ce qui s’est passé, et ce qui se passe encore en Russie. Le grand torrent qui a produit le ver­tige de la foule, et qui s’est mani­festé dans le sang et dans la fré­nésie, a été endigué. Les bénéficiai­res de la révolution deviennent com­me de juste des conservateurs. BoÎFE AüJSÉTfRES Le 30 mai 1936 ^jh$ :#4k w ^cTCENTIuZr sVv a I* ASOC Ni. Antoine de St. Exupéry le célèbre aviateur et le grand romancier expose au «Moment» les rapports de l’aviation et de la littérature Le célèbre aviateur de St. Exu­­béry est un monsieur très occupé, qu’il est difficile d’atteindre. Mais son amabilité est grande. Il a pu ainsi distraire de son programme chargé quelques instants qu’il a bien voulu consacrer au MOMENT. Je n’ai que quatre questions à poser à l’illustre hôte de la Rou­manie qui a su transporter hier un vibrant auditoire auquel il a fait partager au summum ses émotions d’homme et ses joies de poète, en l’entrainant dans ses randonnées épiques, et dans ses rondes de nuit fantastiques. — Voulez-vous, Monsieur, me dire quelques mots au sujet des re­lations de l’air franco-roumaines? Les relations avec la Roumanie sont certainement celles qui tien­nent le plus au coeur de tous les aviateurs qui vont en mission à l’é­tranger. La fraternité latine ne suffit pas à expliquer ce fait. Il faut en cher­cher aussi la cause dans des affi­nités de caractère. Tous les avia­teurs français qui sont venus en Roumanie pendant la guerre et depuis la paix, se sont sentis dans ce pays comme dans leur propre patrie. J’ai tenté de suivre cette tradi­tion l’an passé, alors que je me trouvais à Athènes. Mais le temps était mauvais sur toute l’Europe centrale, les lignes étaient blo­quées, et j’ai dû rentrer en France par l’Italie. Ce n’est pas indifféreifroieiP ;«?e Ta Roumanie a été l’un des pre­miers buts de la ligne aéro-postale. C’est en effet, au début de l’avia­tion marchande que la compagnie franco-roumaine a inauguré la lig­ne Paris-Bucarest. Cette ligne a­­vait un but postal et diplomatique, mais elle exprimait aussi un aspect sentimental. Elle est devenue maintenant l’une des plus régulières. Au cours de la belle saison elle atteint une régularité de 100%. Il est impor­tant que les Roumains se rendent compte de la proximité de Paris qui n’est plus qu’à quelques heu­Le cadre aéronautique est extrêmement riche, car il don­ne l’occasion d’e x p r i m e r l’homme. L'ensemble des for­ces hostiles qui s’opposent à la conquête de l’air obligent par réaction l'homme à se définir. Celui-ci est d’autant plus riche, qu’il a à surmonter plus de difficultés. Par l’intermédiaire de l’a­vion, l'homme revient à une sorte de vie paysanne; le vol exige de sa part des qualités que la civilisation citadine tend à amollir dans l’espèce humaine. res de Bucarest. Nul doute qu’ils n’emploient de plus eu plus le mode de liaison idéal que leur offre la compagnie Air-France. L’avion supprime les distances effectives entre la France et la Roumanie, tout comme le journal „Le Moment” — dont j’apprécie la haute tenue — contribue à suppri­mer la distance spirituelle, en ap­portant chaque matin un peu de Paris à ses lecteurs. — Peu de personnes savent les progrès étonnants qui ont été réa­lisés dans le domaine de la sécu­rité. Votre voix autorisée voudrait­­elle éclairer de façon définitive tous çeüx qui lisent assidûment notre journal? * De nombreux progrès oint été réalisés dans l’aviation depuis dix ans, au point de vue moteur et cel­lule. Les moteurs sont maintenant beaucoup plus sûrs. Mais là ne réside pas le progrès capital. Ce qui a permis surtout à l’aviation d’atteindre à la sécurité et à la régularité, sont les perfec­tionnements apportés à l’instru­mentation de bord et de radio. Les perfectionnements de détails concernent la radiogonométrie, et le pilotage sans visibilité, qui af­franchissent l’équipage de la servi­tude des conditions extérieures. pie devrait nous préserver de retom­ber dans les secondes. Il ressort ainsi, qu’à cette époque de la révolution, pleine de tempê­tes et de remous violents, malgré le bouleversement politique, mal­gré la lutte des partis, et l’horreur de la guerre civile, au dessus des révolutions, la France a duré“. C’est le sort des révolutionnai­res, qui, après avoir achevé la des­truction, sont appelés è défendre le sort national contre l’invasion, en faisant tous les sacrifices, allant jusqu’au bout de leurs efforts, jusqu’à l’héroisme sans égal. C’est le sort des révolutionnaires de devenir, à la longue, des organi-Les méthodes de vol sans visibi­lité permettent de plus en plus au pilote de naviguer dans tou­tes les conditions. Le pilote ne peut se rendre compte de sa posi­tion s’il n’a pas de ligne d’horizon. Or, la ligne d'horizon artificielle pose des problèmes très comple­xes, et il a fallu attendre jusqu’à ces dernières années pour qu’on puisse connaître très exactement quelle est la position géométrique de l’avion. Le pilote est renseigné sur la position géométrique et la position géographique par des ap­pareils giroscopiques et les appa­reils de radio. Il sait où il va et ce qu’il fait. Les circonstances exté­rieures ont depuis 1927, perdu leur importance. On peut par­tir, en effet, d’un terrain où on ne voit rien, voler et atterrir dans de semblables conditions, sans courir aucun risque. Les retards au départ sont de ce fait de plus en plus rares, Il y a toujours naturellement la nécessité d’avoir des moteurs pour lesquels les risques divers de pan­ne sont moindres. Mais, je le ré­pète, ce n’est pas le point capital. Il ne reste donc plus beaucoup de place au mystère ni aux risques imprévus de l’aviation. Plus les méthodes englobent de cas possi­bles, plus le mystère disparait. Dans ces conditions, l’imprévu est aussi exceptionnel qu’il l’est pour la navigation maritime ou le trans­port ferroviaire. Je m’adresse maintenant à l’écri­vain. célèbre qui s’est fait une ré­put at ion nriurj;«#/«)» — Quels sont d’après vous les rapports de l’aviation et de la litté­rature vus sous l’angle psycholo­gique? Et M. de St. Exupéry, après s’être recueilli un instant, me dé­finit ainsi l’apport fait par l’avion dans la vie psychique de l’homme: Les rapports de l’aviation et de la littérature posent le problème des rapports de la technique et de la littérature. Roger Delpeyrou (Suite en page 6) On emploie tout son effort à freiner le mouvement qui déborde. On veut stabiliser les résultats ac­quis. On aime consolider, et au­tant que possible on commence à contenter ceux qui n’ont pas été sa­tisfaits. Et ce qui est encore plus surpre­nant que tout, de ci et de là, on entend crier: „La révolution est terminée“. Rappelez vous la grande révo­lution française: „Les hommes res­­ient toujours des hommes, avec leur grandeur possible, et leur faiblesse inévitable, et s’ils ne nous est pas toujours possible de nous élever au niveau de la première, leur exem­sateurs, et de prêcher l’éducation nationale, l’ordre administratif, et les principes <solennels du droit su­prême de l’Etat. Nous ne sommes donc pas sur­pris d’apprendre que la nouvelle Russie, qui a bouleversé le régime tsariste, institute une école d’édu­cation nationale civique militaire, sous le signe de l’ordre et de la dis­cipline. Et on lira ses leçons comme on a lu, durant quelques générations en France celles des révolutionnai­res qui ont voulu octroyer à la na­tion les droits de l’homme. Alfred Heftçr LA RECEPTION D’HIER A LA LEGATION DE FRANCE LUNDI I JUIN 1930 En page: 3 La réunion national­­paysanne En page 4: L'organisation de la semaine de 40 heures En page 7» Le raid de M. Titulesco La fameuse ceinture du musée de Clung vient de faire une nouvelle victime Paris, mai 1936. Jusque-là le brave Legrand, tour­neur, avait vécu en bonne har­monie avec Vineenzina, sa femme, une brune Napolitaine, une Gra­­eielle: oeil de jais, peau orange, crinière infernale... et une de ces croupes! Mais un dimanche, ils vi­sitent parce qu’il est gratis, ce jour-là, le musée de Cluny. De tout ce qui est entassé dans ce bric-à­­brac médiéval, notre tourneur, re­tourné chez lui, ne garde mémoire que de la fameuse ceinture de chasteté. Quelle bonne précaution! Quelle solide cuirasse contre l’a­dultère! Car Legrand est un peu jaloux. Il se méfie de Vineenzina. Que fait cette vésuvienne pendant qu’il tourne à l’atelier? De quel côté se tourne-t-elle? Et avec qui? La tête tourne au bon tourneur qui se met à tourner, à ses mo­ments de loisir, une ceinture de chasteté sur le modèle de Cluny. Et d’en affubler Madame, le ma­tin avant de partir tourner à l’a­telier. Autant mettre les scellés sur le Vésuve en éruption! Armée d’un couteau de cuisine Vincenzi­­na libère son honneur. Le mari, le soir, veut vérifier la cage. A la vue de la brèche, il imagine je ne sais qu’elle invasion! Il tombe en épi­lepsie. Il administre à l’évadée une botte de giroflées. Résultat: quinze jours de prison, avec sursis au tourneur et vingt cinq francs d’amende. Tous les gens se demanderont, comme moi : „Pourquoi le procu­reur a-t-il requis contre un copiste et n’a-t-il pas brandi les foudres de la loi contre le conservateur de immoral, anti-social, sortez-le de sa châsse! Ne l’offrez pas, comme l’étalon du mètre, aux Arts et Métiers, à l’inquiète curiosité des Sgnanarelles ! On ne peut pas sa­voir les méfaits de cette diaboli­que ceinture. Tous les couples, en voyage de noces, sur leurs cale­pins blancs, inscrivent : „La Tour Effet, le Sacré-Coeur, les cathé­drales, le tombeau de l’Empereur, la ceinture de chasteté à Cluny”. Résultat : il y a, bon ou mal an, une demi-douzaine de piqués, de jaloux — c’est la même chose,— qui s’imaginent qu’avec cette mu­selière, Madame ne leur en plan­tera pas. Et cela finit par des a­­mendes, des quolibets. Pour l’hon­neur des femmes françaises, qu’on débarrasse, une bonne fois, Cluny de cette ferraille. — Y pensez-vous? Mais elle est historique ! — Hystérique, vous voulez dire! Elle est fausse mon bon monsieur. —- Fausse! la ceinture de chas­teté de Cluny, que tant de couples ont contemplée, depuis Louis-Phi­lippe, avec un mélange d’angoisse et de goguenardise! Mais vous ne respectez rien! Vous êtes un sa­crilège. — J’en ai pour garant M. Ber­­geret, je l’accompagnais à Cluny, quand il faisait sa Jeanne d’Arc. Il s’agissait d’y étudier une sta­tuette de la Pucelle, en bronze du XV-e siècle, offerte par un Roth­schild. Nous voilà devant le bibe­lot. A première vue on pourrait croire à l’image de la libératrice d’Orléans. Mais l’inscription gra­vée au burin, dans le bronze entre les pattes du cheval, fait tressau­ter Anatole: „C’est un truquage mon ami, ce n’est qu’un saint Geor­ges! Pour le vendre plus cher, on transforme en Pucelle ce cavalier de la milice céleste”. Et de s’en aller, dégoûté. Et de tomber, nez à nez, dans la même salle avec la ceinture de chasteté. Le maître ce jour-là était en verve de rénanis­me. Je dois le dire: il dépensa plus de sagacité et d’érudition pour la ceinture que pour la statuette. D’abord la grandeur de l’engin le stupéfia : — Que les dames de ce temps­­là avaient d’honneur, mon ami ! Mais le ceintureur était un béjau­­ne. Il avait mal pris ces mesures. Travaillait-il sur ouï dire? La belle affaire que de bloquer la porte cochère, si vous laissez ouvert l’escalier de service! Voulez-vous que je vous dise mon ami: cette ceinture, qui provoque les lazzi de tous les calicots en goguette, n’est qu’un pauvre engin orthopédique!; Jean Jacques Brousson f Suite eti-Daee 61J .

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