Revista de Etnografie şi Folclor, 2015 (Serie nouă, nr. 1-2)

2015 / nr. 1-2

3 Les origines du corps sauvage dans l’imaginaire occidental 93 l’image exotique d’une Amérique fabuleuse avec ses sauvages cannibales en portant en grande partie son attention sur le Brésil. Par contre, les races monstrueuses et surtout leurs racines antiques et médiévales sont pour l’essentiel laissées de côté. Il semble donc important de s’intéresser à leurs fondements historiques en proposant de mettre en évidence les ascendances médiévales de ce corps «sauvage» Indien. En ce sens, et reprenant l’anthropologue Peter Mason, les races monstrueuses fonctionnent comme des traducteurs ou mieux, des révélateurs du Nouveau Monde et des images qui lui sont associées12. Afin de mieux appréhender l'image du sauvage, nous organiserons notre argumentation en présentant tout d’abord l’iconographie antique et médiévale. Notre propos s’appuie sur une vingtaine d’images produites entre le XHe et le XVIe siècles, accompagnées de quelques illustrations datant de l’Antiquité. Ce corpus réduit et cohérent permet de mettre en relief les spécificités de cette figure sur la longue durée et de montrer sa translation de l’Europe vers l’Amérique. Ensuite, nous analyserons les premières images produites sur l’homme sauvage américain en tentant de répondre à ce questionnement: quels sont les invariants culturels liés à cette figure mythique qui migrent de l’Europe vers le continent américain et existe-t-il néanmoins quelques spécificités mises en relief par les découvreurs dans le Nouveau Monde? L’HOMME SAUVAGE DANS L’ANTIQUITE Le rapprochement entre l’homme et l’animal renvoie vers la plus haute Antiquité ce que l’anthropologue Roger Bartra appelle «le berceau agreste»13. En 1997, Gregoiy Mobley brossait un tableau de cet homme sauvage en Orient antique en s’appuyant sur les importantes réflexions de l’ouvrage classique, déjà entrevu, de Richard Bernheimer14. Dès l’Antiquité, particulièrement en Mésopotamie, des légendes décrivent des hommes velus et ce, bien avant la Bible (Levitique XVII, 7; 2 Chroniques XI, 15) qui recommande aux Hébreux de ne pas s’unir aux être appelés Seïrim, c’est-à-dire «les velus», anges déchus assimilés à des boucs, sous peine de déchéance15. L’une des premières figures connue est celle d’Enkidu, personnage de 1 "Épopée de Gilgamesh (Ile millénaire av. J.-C.), une brute sauvage chargée par les dieux de jouer le rôle de sage auprès de Gilgamesh, roi de la cité d’Uruk, personnage violent et sanguinaire (figure 1). Enkidu possède des caractéristiques et des traits qui seront visibles dans Yhomo férus médiéval. C’est un enfant trouvé, élevé en pleine nature par sa mère, une gazelle et son père, un âne sauvage. Il est nu et se déplace à quatre pattes aussi rapidement que les animaux de la steppe. Élevé hors de la 12 Mason 1990: 7. Il emploie l’expression «translators of the New World». 13 Bartra 1992: 15. 14 Mobley 1997: 217-233; Bernheimer 1952: 85-120. 15 Pour une approche de l’homme sauvage chez les Hébreux, cf. White 1972: 10-15.

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