Acta Litteraria Academiae Scientiarum Hungaricae 10. (1968)

1968 / 3-4. szám - Köpeczi Béla: Le particulier et l'universel dans l oeuvre de Mihai Eminescu

B. Köpeczi Dans cette étude, qui se fonde sur l’expérience d’une édition hongroise des oeuvres choisies du grand poète roumain,2 nous nous proposons d’examiner d’une part les rapports qui existent entre les caractères spécifiquement natio­naux et universellement humains de cette poésie, d’autre part les causes de son actualité dans le monde et plus spécialement en Europe centrale et orientale. Le poète et le problème national On sait que l’évolution économique, sociale et culturelle de l’Europe centrale et orientale diffère sensiblement de celle de la partie occidentale de notre continent. En Angleterre ou en France le capitalisme avait déjà triomphé au moment où dans l’autre partie de l’Europe le féodalisme défendait encore avec acharnement ses positions. Les Etats de l’Europe occidentale sont déjà depuis longtemps nationaux et indépendants au moment où ceux de l’Europe centrale et orientale doivent encore lutter pour leur unité et leur indépendance nationale. Les pays développés possèdent déjà une culture nationale riche au moment où ceux qui sont restés en arrière doivent procéder, au début du XIXe siècle, à la formation d’une langue littéraire et d’une culture qui leur sont propres. Dans une telle situation la littérature assume une fonction militante, elle mène le combat en vue de la réalisation des objectifs nationaux et so­ciaux de l’époque. Pour le jeune Eminescu,3 la valeur idéologique et morale essentielle, c’est l’idée de la nation. On sait qu’il a fait ses études dans une région qui appar­tenait à cette époque à l’Autriche, en Bukovine, où plusieurs nationalités co­existaient et où le nationalisme roumain, renforcé par l’exemple de l’insurrection de Transylvanie en 1848-49, se manifestait avec vigueur. Ses pérégrinations dans les différentes parties de la Monarchie des Habsbourg, habitées par des Roumains, et tout particulièrement ses impressions personnelles recueillies en Transylvanie ont contribué à la formation de sa conception nationale. Quel est le contenu de cette idéologie? Elle exige l’indépendance de la Moldavie, de la Valachie, de la Transylvanie et elle veut réaliser contre la Turquie et la Monarchie austro-hongroise l’unité de tous les Roumains. Ce programme politique s’appuie sur les conditions ethniques, mais il cherche aussi une base historique dans la théorie de la continuité daco-romane, élabo­rée par l’école dite transylvaine ou latiniste à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.4 A cette époque chaque peuple cherche à prouver son ancienneté et l’atmosphère intellectuelle du romantisme, qui met en relief l’histoire, favorise cette orientation. Les Hongrois se considèrent comme les descen­dants d’Attila, les Italiens se flattent de leur origine romaine, les Allemands sont fiers des tribus germaniques qui ont détruit Rome. La lutte pour l’indépendance ou l’unité nationale est juste en elle-même, mais son idéologie se caractérise dès le début par agressivité peu et mal con- Acta Litteraria Academiae Scientiarum Hungaricae 10, 1968

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