Le Moment, Decembre 1939 (Année 7, no. 1425-1449)

1939-12-01 / no. 1425

r BUCAREST 7-me ANNÉE No. 1425 BUCAREST 5 2 rue ARIST. DEMETRIADÈ, * Rédaction, Administration Tél. 5.19. Imprimerie et Ateliers de Photogravure •.Le Moment" 2, rua Arist. Demet ríade, Tél. 5.19,91 a RÉDACTION DE PARIS: André Stibio 31, rue Troochet » DIRECTEUR: ALFRED HEFTER Propriétaire : Le Moment S. A. Taxe.postale acquitta en espèces conformément l'ordre No. 24.457/ 93 9 de la Direction Générale P. T. T. 4 PAGES 3 LEI Inscrit au registre de publications du Trib. d’ilfov, sous le No. 243/1938. Qoqq 3 : Qa polit Lque. extérieure de (a 9?oamcnie L’exposé de M. Gafenco au Sénat Paris, novembre 1939 Pour apprécier jus­qu’à quel point l’état major général alle­mand de 1939 peut a­­voir intérêt à renouve­ler la manoeuvre contre le France préconisée par Schlieffen il y a trente-quatre ans, il est nécéssaire d’étudier les motifs qui ont guidé ce dernier en 1905, dans le choix de sa solution, et de rechercher si ces motifs ont encore quelque va­leur aujourd’hui, ou si, au contrai­re, ils ne répondent plus en rien à la situation présente. Les vues qui ont amené l’ancien chef de l’état major général à ar­rêter son choix en ce qui concerne la direction d’offensive de la masse allemande principale, peuvent se résumer ainsi: Un vaste mouvement débordant par la Suisse était à réjeter, à cau­se de la présence de l’armée helvé­tique, décidée à résister énergique­ment, et de la difficulté de forcer les passages du Jura. Belfort-Epinal, à travers les Hau­tes-Vosges, ne pouvait être envi­sagée, car le terrain, de ce côté, se prêtait mal à l’emploi de l’artil­lerie. Entre Toul et Verdun une offen­sive se serait heurtée directement au système fortifié de la Meuse, et aurait dégénérée en guerre de siè­ge. On ne rencontrait d’espace dé­pourvu de fortifications qu’entre Epinal et Toul d’autre part, et au nord de Verdun de l’autre. La première de ces directions n’offrait pas d’intérêt. On aurait trouvé sur la Moselle en aval d’E- pinal des forces françaises consi­dérables, occupant une solide posi­tion, dont les flancs s’appuyaient à deux camps retranchés. On ne pouvait espérer plus que de les re­fouler après de longs et durs com­bats. La seule solution vraiment favo­rable consistait à tourner la lon­gue muraille fortifiée par le nord de Verdun, ce qui donnait la pos­sibilité de rabattre sur les com­munications adverses. Mais l’espa­ce dont on disposait entre Verdun et la frontière belge était complète­ment insuffisant pour permettre le déploiement des masses nécessai­res à une telle manoeuvre. Etendre le mouvement de la droite par le Luxembourg et le Luxembourg belge jusqu’à la Meu­se, de Namur à Mézières seule­ment, ne procurerait pas de certi­tude d’éviter une lutte frontale, car les français, renforcés sans doute par une armée anglaise, dis­posaient d’effectifs si importants qu’il fallait s’attendre à les voir étendre leur gauche jusqu’à Mé­zières. Au contraire, en faisant irrup­tion, avec un groupement très puissant, sur le front Mézières- Maubeuge-Lille-Dunkerque, qui ne possédait que quelques places an­ciennes et isolées, on envelopperait largement à la fois le système for­tifié de l’adversaire et la gauche de son corps de bataille. En pous­sant ensuite l’aile marchante par Amiens, et au besoin par Abbevil­le, vers le nord de Paris, on tour­nerait toutes les lignes de défense sur lesquelles les Français pour­raient chercher à se rétablir. Du point de vue politique, la violation de la Belgique présentait certes inconvénients. Mais ces in­convénients étaient compensés par d’énormes avantages stratégiques. Le Luxembourg n’avait aucune or­ganisation militaire. Quant à la Belgique, si elle prenait les armes pour se défendre, elle replierait sans doute dans ses forteresses son armée, relativement faible. w • • Si l’on reprend ces divers argu­ments, en se plaçant du point de vue allemand, dans la situation ac­tuelle, à quelle conclusion arrive­­t-on ? Le vaste mouvement débordant par la Suisse présente des risques semblables à ceux qui avait fait reculer Schlieffen. Une offensive directe contre la frontière franco - allemande se heurterait aux mêmes difficultés qu’en 1905, fortement accrues par la présence, au sud de la Lauter, du Rhin, doublé d’ouvrages perma­nents, et, entre ce fleuve et la Moselle, de la partie centrale de la ligne Maginot, renforcée d’un certain nombre d’orgamsac’ons successives. Les Allemands trou­veraient là des forces françaises considérables. Ils pourraient tout au plus espérer les refouler, après des combats très longs et très durs. Voilà pour les analogies. Quant aux différences, elles sont consi­dérables. D’abord l’enceinte de la forte­resse France s’étend aujourd’hui, sans discontinuité, jusqu’à la côte de la mer du Nord. D’autre part la Belgique avec sa frontière forti­fiée et son armée considérablement renforcée, ne peut plus être consi­dérée comme un adversaire né­gligeable. Cependant grâce à la très grande supériorité d’effectifs et de matériel qu’ils seraient en mesure de concentrer contre ce pe­tit pays, les Allemands pourraient ésperer rompre assez rapidement la ceinture fortifiée belge et lan­­çer leurs forces blindées en direc­tion de Bruxelles. Des premiers avantages de cette nature entraî­neraient des réactions actuelle­ment imprévisibles, mais qui dans l’ésprit du commandement ennemi, pourraient peut-être offrir l’occa­sion de succès initiaux, à la suite desquelles la rupture de la ligne fortifiée du Nord pourrait être tentée. Il est à remarquer d’ailleurs que, le front oriental n’existant plus, les Allemands ne seraient pas te­nus de terminer en quelques se­maines la campagne contre les ar­mées franco-britanniques. En résumé, la situation actuelle vue de côté allemand, se présente de la façon suivante: l’offensive principale par la Belgique — et, aujourd’hui par le territoire de la Hollande méridionale — est en­core la solution qui semble la plus avantageuse pour les Allemands. Mais tactiquement les succès se­raient beaucoup plus dfficiles à réaliser. Stratégiquement la ma­noeuvre rencontrerait des condi­tions beaucoup moins favorables, parce que la surprise est irréali­sable et que la masse allemande d’aile droite trouverait sa route barée par de puissantes réserves f : anco-britanniques. En d’autres termes, la manoeu­vre d’enveloppement conçue en 1905 aboutirait à une bataille fron­tale avec tous ses aléas. Commandant MARTINET CHRONIQUE MILITAIRE Les bases stratégiques du plan Schlieffen et leur valeur actuelle M. Georges Tataresco a pris le premier contact — en qualité de nouveau Président du Conseil, — avec l’opinion publique nationale, mardi à 18 h. 30, par la voie des ondes. Pour mériter la confiance qu’il a demandé que cette opinion publique lui fasse, il a procédé comme suit: il lui a parlé d’abord avec franchise, sachant que les masses auditrices, désormais dé­sintoxiquées de la toxine de la dé­magogie, refuseraient leur crédit à un chef du gouvernement qui voudrait leur dissimuler la vérité. Emile Buré écrivait récemment dans un article intitulé „La Fran­ce n’a rien à craindre de la véri­té”: „Mauvais, très mauvais quand le peuple a le sentiment qn’on veut lui cacher la vérité. La force de M. Daladier réside dans la sim­plicité mais aussi dans la sincé­rité de son langage”. M. Tataresco a donné, à son tour, impression de force en par­lant au pays sans détours et en lui annonçant, par ailleurs, qu’il avait donné dès le premier jour des instructions formelles à la Censure de laisser libres les criti­ques objectives de l’oeuvre gou­vernementale. Nous disions plus haut que M. Tataresco a eu recours à deux mo­yen« pour s’attirer dès le début la confiance de la Nation: il lui a présenté la situation du pays telle qu’elle l’est, sans fard, ni masque et en second lieu, il lui a déjà an­noncé la première série de mesures destinées à montrer aux citoyens la voie sur laquelle le nouveau gou­vernement est décidé à s’engager. En effet, en convoquant le Con­seil des Ministres le matin, il lui a fait adopter une série de dix premières décisions qui signifiaient que le gouvernement est déjà pas­sé aux actes. Or, à la Bourse des valeurs, seuls les actes, depuis un certain temps, cotent encore. Un de ces actes, nous venons de le signaler: c’est l’adoucissement des rigueurs de la censure dans l’intention de rendre possible le contrôle de l’opinion publique sur l’activité du gouvernement : Il y en encore neuf: 1. — M. Tataresco a décidé de maintenir tontes les mesures pri­ses par les gouvernements qui ont précédé le sien dans le but de sau­vegarder l’ordre intérieur dans le cadre d’une discipline nationale sans reproche. En cet ordre d’idées pas de transactions, pas de faiblesse, pas de carence. 2. — En second Heu, M. Tata­resco s’est engagé devant le pays de faire observer dans l’admini­stration et dans la police, (il est égalemment ministre de l'Inté­rieur) la plus stricte légalité. Il convient de noter ici, à ce pro­pos, en passant, qu’en prenant pos­session de son poste au Ministère de la Justice, M. Istrate Micesco a­­vait déclaré lundi dernier: „La mission essentielle de l’Etat est de dire le droit et d’appliquer le droit. L’idée de justice ne peut devenir une réalité que si on assure le res­pect du droit. Et dans les rapports entre les pouvoirs constitués dans l’Etat et les individus on sur la collectivité, la justice doit être le correctif de l’idée d’autorité”. Il y a en, paraît-il, des abus. Au delà des grilles du Palais Canta­­cuzène, M. Tataresco en a eu con­naissance. En entrant de nouveau dans ce Palais, en tant que chef de l’exécutif, il a promis de les repri­mer. 3. M. Tataresco a promis, en ou­tre, et a pris des décisions en ce sens que toutes les corvées, à l’ex­ception de celles militaires, soient supprimées. Encore une mesure qui fera rentrer dans beaucoup de foyers, un sentiment de soulagement. 4. — Une quatrième mesure, non moins importante et d’effet sur l’opinion publique a été celle d’an­nuler toutes les dépenses extraor­dinaires ou peu nécessaires des contrées, des départements et des communes, en vue de la création des fonds d’assistance aux famil­les des mobilisés besogneux. 5. — Puisqu’alors que les sol­dats montent la garde aux frontiè­res, il est juste de ne pas aban­donner leurs familles à leur sort, M. Tataresco a, enfn, décidé, de faire aussi distribuer gratuitement du bois à ceux de l’arrière qui manquent de moyens. On connaît, grâce au communi­qué de la Présidence, les antres mesures. Elles peuvent être répar­ties en deux catégories: les unes visent au renforcement de la dé­fense nationale; les autres pour­suivent le maintien de l’équilibre social, économique et moral dans la vie civile du pays. Ceci nous amène à parler des principes directeurs qui, tels des phares lumineux, délimiteront la voie sur laquelle, à travers les ro­chers de difficultés, M. Tataresco entend faire naviguer la barque du gouvernement. Ces principes directeurs qui ne seront jamais perdus de vue aussi longtemps que se déploiera l’ac­tion du cabinet Tataresco, sont les suivants: I. Créer un climat de détente et de pacification pour approfondir la solidarité nationale; II. Dominer la crise économique; III. Organiser les forces de dé­fense ; IV. Epargner le denier public. Le nouveau gouvernement a­gira, avec en permanence ces prin­cipes à l’esprit . Ainsi l’a promis M. Tataresco mardi soir. Et si — comme nous le savons — il recherche dans la nation le point d’appui indispen­sable au levier de son action, il devra tenir cette promesse. Et il la tiendra. APRÈS LE DISCOURS DE M. TATARESCO Le nouveau cabinet face à face avec le pays M. GEORGES TATARESCO VENDREDI 1 DECEMBRE 1939 M. GRÉGOIRE GAFENCO Ministre des Affaires Etrangères qui a fait hier devant les Commis­sions des Affaires Etrangères de la Chambre et du Sénat un grand exposé sur la politique extérieure de la Roumanie. LA LECTURE AUX ARMEES Paris, novembre 1939. J’ai remarqué que la plupart de mes confrères répondant à la question: „Que lire aux armées?” recommandaient leurs ouvrages préférés; et Tun d’eux, et non cer­tes, des moindres, conseillait mê­me faisant son choix parmi les romanciers contemporains et en écartant les meilleurs des con­f teura de troisième ordre — pour ne pas dire plus... Je voudrais éviter de donner une opinion aussi per­sonnelle. Et d’abord il faut dire aux sol­dats : „Avant tout, lisez ce que vous aimez lire. Ne vous contrai­gnez pas. Ne vous croyez pas tenu de faire des lecteurs difficiles. Les circonstances vous imposent déjà une dure contrainte. Ne vous guindez pas. Si vous avez du goût pour les livres d’histoire, essayez de comprendre ce que s’est passé en Europe depuis 840, après la mort de Louis le Débonnaire (ce n’est pas consolant) ; si vous avez l’habitude des ouvrages scientifi­ques vous aurez le temps de les étudier sérieussement, si vous êtes fanatique du droit, des mathéma­tiques, la métaphysique, la théolo­gie vous y trouverez vo’re force et votre consolatioin habituelles, mais vous si vous ne goûtez que les romans policiers, ne vous croyez pas obligés de plonger dans Aristote et dans Henri Poincaré, sous le prétexte que les événe­ments exigent de chacun la vie la plus sévère. Et surtout ne confon­dez pas les grands livres qui font le prix et la subsistence de la cul­ture avec cette vulgarisation cou­rante qui ne flatte que la préten­tion et ne développe que l’illusion du savoir”. Les vrais livres de fond, ce sont les classiques. On les a lus à l’é­cole — il faut bien dire que cette lecture sert le plus souvent à vous écarter d’eux pour toujours. On croit les connaître parce qu’on a disserté sur eux selon les méthodes mécaniques, parce qu’on en a dis­cuté avec ses camarades à la fin de son adolescence. Tout cela ne donne guère qu’un mirage à notre esprit. Les classiques français ne res­semblent à ceux d’aucune nation. Quelques rares lat'ns seuls ont des points de contact avec e ix. Et l’on pourrait dire que nouss seuls avons des classiques .Aussi avons nous une certaine peine à nous les assimiler avant d’avoir acquis personnellement l’expérience de la vie. La race française a eu de très bonne heure une extraordinaire maturité d’esprit; le goût de la méditation et du rendement sur soi; l’amour des idées générales; la curiosité de l’homme; un souci scrupuleux des détails; le sens in­né d’un artisanat supérieur; cette saine amertume et ce pessimisme naturel qui font qu’on ne se con­tente pas des apparences si sédui- EDMOND JALOUX de l’Académie Française (Suite page 21 —

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