Le Moment, Juin 1940 (Année 8, no. 1570-1592)

1940-06-01 / no. 1570

BUCAREST 8-me ANNÉE No. 1570 • BUCAREST 2, rue ARIST. DEMETRIADE Rédaction, Administration TéL 5.1 9.91, Imprimerie et Ateliers de Photogravure „Le Moment" 2, rue Arist, Demetriade. TéíL 5.19.91 • DIRECTEUR: ALFRED HEFTER Propriétaire t Le Moment S. A. Inscrit au registre de publications du Trib. d’îîfov, sou« le No. 243/1938 8 PAGES 3 LE! Taxe postale acquîtes en espèces conformément l'ordre Mo. 24.457/939 de la Direction Généralo P. T. T.LA I L'apport des colonies françaises au potentiel de guerre des Alliés Ide notre rédaction de Paris J PARIS, mai 1940 Prélude aux mani­festations de la „Quin­zaine impériale fran­çaise”, le 2-ème Salon de la France d’Outre- Mer vient de fermer ses portes, So­lennellement inauguré le 3 mai, il a déroulé ses fastes jusqu’à la fin du mois sous le dôme du Grand Palais qui, pour la circonstance, avait re­vêtu une parure exotique inhabi­tuelle. Ce Salon du temps de guerre constitue un vibrant acte de foi dans les destinées coloniales de la France et symbolise en une apo­théose schématique la force impé­riale de notre pays et la puissance d'apport de ses colonies. * * * C’était un spotacle singulière­ment émouvant et réconfortant à la fois de voir tirailleurs, mar­souins, bigors, spahis, matelots de couleur former la haie au cortège officiel. C'était l’Armée de P Empi­re, de cet Empire colonial français, ensemble grandiose de forces et de ressources et de possibilités infinies oeuvre merveilleuse réalisée grâce au génie et au labeur patient de la France, construction inégalable dont le Maréchal Pétain pouvait dire l'autre jour qu’„e'lle consti­tuait la base même de sia grandeur et de sa prospérité“. Cet Empire colonial, cette plus grande France s'étend sur toutes les parties du monde en un domai­ne de 12.600.000 kilomètres carrés où vivent, dans des conditions cha­que jour plus heureuses un bloc de 100 millions d'habitants. Réser­voir gigantesques d'hommes, de ressources économiques et de ri­chesses illimitées, d’où rayonne de par l'univers la pensée française. C’est cette puissance formidable, ces moyens d’action sans limites, ces bloc de granit inébranlable, qu’illustrait en un saisissant rac­courci le 2-ème Salon de la France d'Outre-Mer, * * * Pendant la guerre 1914—1918 l'effort militaire des colonies fran­çaises, effort improvisé si Ton peut dire, a cependant été considérable. Le total des combattants originai­res des territoires ne relevant que du Ministère des Colonies a été de 275.000 hommes se rêpartissant ainsi: ~ i A. O. F. . , 150.000 Indochine . ■ 46.000 Madagascar . 40.000 Antilles & Réunion a 36.000 Somalis • ■ 2.500 Pacifique . . 1.500 L'Afrique du Nord a fourni pour Sa part, plus de 300.000 combat­tants. Si à ses unités combattantes on ajoute les travailleurs indigènes — 180.000 Nord-Africains et 50.000 Annamites — l’apport humain des territoires français d’Outre Mer a dépassé 800.000 hommes au cours de le dernière guerre. Pendant la même période, l'ap­port à la métropole des Colonies proprement dites en matières pre­mières et en produits alimentaires a dépassé 3 millions de tonnes, portant sur les oléagineux et les corps gras, le sucre, les rhums, les coprahs, riz, graphite, ricin, viande frigorifiée etc., L'effort consenti par l'Afrique du Nord n’a pas été en ce qui con­cerne les céréales, les vins, les phosphates, fer, plomb, zinc, lai­nes, peaux, etc. moins important. * * * Quelle est l'importance du rôle qui est et sera dévolu à l’Empire colonial français pendant le con­flit actuel? U n'est pas permis de révéler en ce qui a trait aux questions mi­litaires. Toutefois, en se référant à des indications données derniè­rement nar M. Georses Mandel, il est établi que, dans les cinq pre­miers mois de la guerre, il a été mobilisé un nombre bien plus im­portant de troupes indigènes qu'il n'en avait été levé pendant toute la guerre 1914—1918. Et Ton peut ajouter, sans nuire aux secrets de la Défense Nationale, que la con­scription ayant été instaurée et fonctionnant normalement d’une part, et de l'autre, le nombre des engagements volontaires dépas­sant toutes les prévisions, le po­tentiel militaire colonial de la France est pratiquement inépuisa­ble. * » « Sur le plan économique, les res­sources agricoles, minières des colonies forestières et françaises sont illimitées. En temps normal, l’apport colonial représente pour la métropole un mouvement com­mercial de 13 milliards, soit 25% du commerce d’importation et de 7 milliards à l’exportation, soit 30% des chiffres totaux. ALBERT ROSSET DU PONT (Suite page 3) Le 30 mai, 1940 EhlIsânt' feT details du grand effort déployé par le Alliés, pour organiser, en temps de guerre, tous les moyens techniques nécessaires à faire face à la grande puissance offensive de T adversaire et pour gagner la supériorité, en hommes, matériels et inventions, supériori­té indispensable au moment de la contre offensive décisive, nous nous sommes rappelé „l'immense effort de poitrines, effort des usines et effort des cerveaux” déployés en­tre 1914—1919. * # * Dans la guerre mondiale, non plus les doctrines formulés a prio­ri, n'ont supporté l'épreuve des événements., i , , Aucune. André Tardieu dans son étude très détaillée sur la dernière guer re, écrit: „La doctrine de la guerre s’est formée au jour le jour, dans le trouble des faits accumulés, réser­vant les faveurs de la victoire à qui saurait en clarifier l’émouvante exigence. La France, comme les autres, a commis des erreurs. Par la dure nécessité de la défaite, nous avions, plus que tous autres, médité ces problèmes”. En effet en étudiant le chiffre donné par le colonel américain Léonard P. Ayres, on arrive à se rendre à peu près compte de la proportion du miracle réalisé par la France et ses alliés lors de la dernière guerre. On sait que la France a perdu 1.364.000 hommes, morts sur les champs de bataille, ce qui signifie 3,6% de sa population, et qu’elle avait dépensé 143 milliards de fr. (la Grande Bretagne avait dépen­sé 190 milliards et les Etats Unis 160 milliards). (La Grande Bretagne a perdu 764.000 hommes). Malgré ces pertes la France pos­sédait à la date de l'armistice en ligne, rien que sur le front occi­dental 2.559.000 hommes. (Les Anglais avait sur le front au mê- j me moment 1.718.000 hommes et les Américains 1.950.000 hommes). Malgré les immensses pertes en matériel (90% des ressources en minerai de fer, 80% des ressources en acier; 80% de l'outilage natio nal; 70% des ressources en fonte; 50% du total des ouvriers spécia­lisés), la France possédait à la date de l'armistice environ 12.000. LA SITUATION POLITIQUE ET MILITAIRE vue de Paris, Londres et Berlin PARIS, 30 mai 1940 (par télé­phone de notre correspondant par ticulier). La bataille des Flandres continue avec une violence sans cesse accrue. Le Haut Commandement Allemand, décidé à exploiter à fond la défec­tion de l'Armée belge, avait lancé hier, sur tout le front, des offensives formidables dans le but d'emporter la décision définitive. Cette action s'est heurtée à la résistance héroï­que et vraiment surhumaine de l'Ar­mée franco-anglaise du Nord qui, sur le front réduit qu'elle a réussi à reconstituer en abandonnant ses po­sitions avancées de Lille, a défendu ses nouvelles positions en infligeant de terribles pertes à l'adversaire. La Nation tout entière salue la valeur des Chefs militaires qui font face, dans le Nord, à .la situation, et sont l'honneur de l'Armée française. Tandis que l'Armée du Général Blanchard maintenait la furieuse poussée de l'ennemi, le Général Prioux a réussi, sous cette protec­tion, à réorganiser le secteur aban­donné par l'Armée belge et à com­bler la brèche ouverte dans le dis­positif allié par cette défection, en­tre l'Armée française et l'Armée anglaise. Cette dernière, sous la conduite du Général Gort, se main­tient sur la ligne de l’Yser. Enfin, la région de Dunkerque, qui sert dé­sormais de base, à toute l'Armée du Nord, a été organisée avec la coo­pération des forces navales que di­rige l'Amiral Abrial. La coopération entre cês divers elérne il fs et "l'avia­tion française et anglaise est ad­mirable. (Suite page 6) LONDRES, le 30 mai 1940 F. A. R. (de notre correspondant parti­culier). Le message que le Roi d'Angle­terre a adressé aux forces expédi­tionnaires britanniques met en évi­dence l'admiration de tout le pays pour le courage et la témérité des soldats et officiers anglais, qui se sont montrés dignes des héros qui luttèrent à Gallipoli et Ypres. En effet, l'armée anglaise qui se trouve encore dans le Nord de la Belgique se replie dans un ordre par­fait, non sans infliger des pertes é­­normes aux soldats allemands, tan­dis que les forces britanniques et françaises reçoivent constamment des renforts, hommes, et matériel. * * * On présume à Londres que le commandement allemand prépare des opérations dirigées contre la Grande Bretagne. Ces opérations auraient comme point de départ la Zélande, la Norvège, le Danemark et la Belgique. La Défense Nationa­le anglaise est prête à toute éven­tualité. Elle est prête à tout, des vo­lontaires affluent. Les postes de dé­fense n'attendent qu'un signal. Les systèmes d’alarme entreront en fonc­tion mathématiquement. Le con­trôle sera exercé avec un maximum d'efficacité. Le pays dans son en­semble se dressera comme un seul homme. A Londres il règne une confiance rjénéfale. Cette certitude est im- Îfî-js'ole; la tentative d’invasion alle­mande sera vouée à un echec total. (Suite page 6) 1940. BERLIN, 30 mai L'agence D. N. B. mande : Au sujet de l'affirmation anglo­­française selon laquelle les Belges au­raient capitulé sans en avoir informé au préalable les Alliés et que c'est par suite de cette capitulation que la situation serait devenue si grave pour les troupes franco-britanniques, les milieux autorisés allemands tien­nent à déclarer qu'avant la capitu­lation de l'armée belge, le comman­dement allemand avait eu connais­sance de l'embarquement des trou­pes sur la côte franco-belge pour rentrer en Angleterre. Un rapport en date du 26 mai, adressé au commandement allemand après un raid de reconnaissance, déclare : „Une vive activité des navires au large du port de Dunkerque laisse supposser que des troupes s'embar­quent sur des navires de transport. Les ports d'Ostende et de Zee­brugge sont peu fréquentés. Une vive activité de détache­ments de toutes catégories a été re­marquée dans les secteurs Dunker­que, Carvins, Orchies, Menin, et Ypres, surtout en direction Ouest et Nord". Un autre rapport du 26 mai : De 7 à 9 h. du matin on a obser vé devant le port de Dunkerque : huit navires marchands; entre Gra­velines et Dunkerque: 18 navires marchands et un navire de transport de 15.000 tonnes; devant le port de Calais: sept navires, dont deux ba­teaux ambulances; entre Calais et Dover: six navires de transport. (Suite page 6) terie. Elle avait encore 3.600 avions, ce qui représentait 130 avions pour 100.000 homems et produisait par an 1.400.000 fusils, 250.000 mitrail­leuses, et environ 3.000.000 de mu nitions pour fusils et mitrailleu­ses. De son côté la Grande Bretagne, qui avait perdu des vaisseaux d’un déplacement d’environ 1.000.000 de tonnes durant la guerre, a au­gmenté jusqu'à la fin son tonnage de 2.500.000 tonnes. Le nombre d’officiers et mate lots est passé de 140.000 en 1914, à 408.000 en 1918. La marine bri­tannique avait transporté durant la guerre 23.400.000 hommes et » 53.000.000 tonnes d'approvisionne-canons en ligne, organisés en bat- ment. En plus, 60.000.000 tonnes de combustible. La Grande Bretagne a réalisé oetf effort impressionnant en perdant 40.000 hommes de la marine et 25 mille blessés Elle a commencé la guerre avec 2.500.000 hommes et a fini par en avoir environ 9.000.000. Le Général Ludendorf, tout en se rendant compte de l'importance de l'effort allié et de leurs ressour ces sans fin, disait avant la gran­de offensive allemande de juillet 1918; malgré les immenses réali­sations de ses adversaires: „Vous me demandez, Amiral de Hintze, au nom de mon Empereur, si je suis sûr de battre au cours de l’offensive actuelle, l’ennemi d'u­ne façon décisive et définitive? Bien, je réponds à votre question par un „oui" catégorique“. Le chef du grand quartier géné­ral était sûr de sa puissante ma­chine de guerre, puisqu'il avait déjà bombardé Paris, après avoir rompu les lignes françaises au Chemin des Dames, en faisant de nombreux prisonniers anglais et français et en capturant un très important matériel de guerre. Le Général Ludendorf savait qu’il disposait de 1.500 bataillons groupés en 207 divisions, dont 130 se trouvaient en première ligne. 11 attaque le 15 juillet en direc­tion de Reims et le 17 juillet la résistance franco-anglaise dépas­sait toutes prévisions et obligea ALFRED HEFTER (Suite page 3) Nos lecteurs pourront trouver sur cete carte les localités où ont lieu les opérations de guerre selon les derniers communiqués publiés pages 5, 6 et Z SAMEDI 1 JUIN 1940 M. YOVAN DOUTCHITCH Premier ambassadeur de Yougosla­vie à Bucarest quitte aujourd'hui ta Roumanie pour se rendre à Madrid où il est appelé à représenter son pays. Les Fleurs La nature certaines années est méchante à notre égard. Elle sem­ble tenir à marquer que par des­sus nos soubresauts, c'est eile qui domine. C'est elle la maîtresse de notre destinée. Par l'épouvante d’un instant ©lie aiguille notre pensés vers elle. Après quelques journées sereines et chaudes, alors que les perces niege frêles annon­çaient le printemps, elle se rebiffe de nouveau et longuement, saupou­dre une neige dense qui fait tourbïl louner les amas comme au plus fort de l'hiver. Toutefois la nature est bonne mère. Elle menace, punit, mais sans méchanceté, c'est pour nous forcer de penser à elle:. Après quoi, de nous faire nouvelle risette^ A son sourire vivifiant, la neige fond vite. Les émissaires du prin­temps, de la joie de vivre, les hé­rauts du travail qui ennoblit la vie, font leur apparition.. Il ne se montrent pas timidement, 'amorcés par un rayon de soleil. C'est en masses compactes qu’ils s’amènent, et remplissent les corbeilles des marchandes. Ge sont les fleurs, les fragiles et délicates créatures muettes, qui n'ont pas moins le pou voir de charmer, de dérider ne fût ce qu'un instant les fronts da glisser dans T âme la sérénité, la renouveau. Par leurs fleurs, les plantes sont les agents éthiques de la nature. Elles ont le don de ras­séréner un instant, 1© plus renfro­gné d:es hommes. Elles se faufi­lent dans l’âme close, s’ingéniant à assouplir la rigidité qui transforme l’homme en fauve. Le soleil et ses bienfaits se trouvent unis à la fleur. L’ombre est la mort de celta-ci. La nature applique la loi de la compensation. La plante est une martyre. Sa vie est un tourment. Immobilisée par a racine, elle est en butte à tous les ennemis. Elle lutte comme eitle peut. On retrouve dans le monde des plantes toutes les armes qua les hommes ont forgées le long des siècle à force d’efforts. Elles ont des flèches, des lances et con­tiennent des poisons foudroyants. Cependant, la lutte de la plante pour faire durer la vie de sa lignée, autrement dit l'éternité de la vie, est âpre. C'est pourquoi la nature par compensation Ta entourée de tout ce qui donne des momènis de satisfaction à l'homme. Ella tire d’habitude le rideau des nua­ges, pour lui permettre de jouir du bleu éclatant des deux. Le jour des noces, celui du bonheur de la plante, s’écoule dans les hymmes des oiseaux 1© bourdonnement des insectes. Le mois de mai est géné­ralement le mois des fleurs, c’est le mois de la création des mondes I d'êtres. C'est la noble symphonie, qui par les émotions qu'elle éveille dans l’âme de l'homme, le remua jusqu’au tréfonds de son être. Toute la nature y participe et les fleurs les premières. Une clairière fleurie n’est pas qu'un tableau de couleurs. Pour qui peut en saisir la magie, c'est l'appel puissant et secret vers le plus beau champ de renouveau spirituel, que la nature ait pu for­ger par son inégalable imagina­tion créatrice. Devant un champ en fleurs, au beau milieu du champ, on en oublie sa propre existence, les soucisi de la vie. Une trame invisible retient comme dans une toile d’araignée, non pour I. SIM IONESCO Professeur à l'Université de Bucarest (Suite page 8)

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