Berzeviczy Albert: Le surnaturel dans le théâtre de Shakespeare (Budapest, 1911)

religieux et moral ; cependant les mystères, les miracles et les moralités ayant un caractère tout symbolique et allégorique où prédominait le merveilleux, c’est moins des hommes véri­tables en chair et os que l’on mettait en scène que des types représentatifs de la vertu et du vice ou même bien souvent des personnages de l’autre monde. Le diable même avait sa place marquée dans les pièces bouffonnes, et, comme il y était ordinairement tourmenté et hué, de là est venue l’expression de «pauvre diable». Ces pièces naïves et essentiellement populaires commen­cèrent à perdre de leur grossièreté à la Renaissance, surtout à la cour des princes, et devinrent les «farces» et autres diver­tissements masqués allégoriques destinés à fêter une personne ou un événement. En même temps, le réveil et l’imitation de l’art gréco-latin qui eut lieu d’abord en Italie, introduisait sur la scène des éléments du théâtre classique et le drame de collège commença à fleurir. Shakespeare et les dramaturges contemporains débutèrent sur la scène anglaise au moment de la lutte entre la tendance classique représentée surtout par des imitations du théâtre romain et la tendance romantique populaire qui se constituait sur des motifs nationaux et se dégageait peu à peu du drame médiéval rudimentaire, lutte sur les circonstances de laquelle nous aurons à revenir^1) Cependant il nous faut déjà constater ici que le drame populaire romantique ne pouvait pas plus se passer du sur­naturel que le drame classique, et que cet élément transformé et devenu d’un usage plus restreint, a conservé son rôle et sa place sur la scène moderne, malgré les transformations que le drame a subies dans le courant du XIXe siècle. Nous ver­rons plus loin la part que Shakespeare y a eue par l’habileté avec laquelle il s’est servi de cet élément ; bornons-nous ici à citer quelques données à l’appui de ce fait. Le rôle du merveilleux et surtout de la féerie s’est le mieux conservé dans le drame populaire et les pièces bouffonnes mises en musique. Mais on le retrouve encore dans les genres les plus sérieux où la musique n’entre point, et nul n'ignore que cet élément ait été mis en œuvre par Gœthe dans son Faust, P) A. Mézières, Shakespeare, ses œuvres et ses critiques. Paris, 1886 p. 44 et 47. — John Addington Symonds: Shakespeare’s Predecessors in the english Drama, London, 1884, p. 37—39.

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