Nouvelle Revue de Hongrie 48. (1933)

Février - Zoltán Kodály par Emile Haraszti

Zoltán Kodály Par EMILE HARASZTI D EPUIS mille ans, la mélodie hongroise est en lutte avec la technique occidentale. Lutte perpétuelle, incessamment renais­sante, éclatant avec une violence de plus en plus forte, où la première veut plier la seconde à son service. C’est le voeu ardent et plusieurs fois séculaire du génie hongrois de créer de sa propre sub­stance — de son sang et de sa chair, de la matière même de la mélo­die hongroise — la musique nationale. Plus d’une fois par siècle, au cours de ce millénaire, la technique occidentale s’est rapprochée de la mélodie orientale pour essayer de la tirer de son immobilité. Tous les courants de l’histoire de la musique ont parcouru la Hongrie, mais ils n’ont pu mordre sur la psyché magyare. La chanson hongroise s’est renfermée orgueilleusement dans son isolement ancestral et c’est avec une vigueur toute payenne qu’elle a repoussé chaque tentative de conquête. Condamnée à une com­plète stérilité, la technique a fini par se lasser de ces échecs continuels. Jamais elle n’a réussi à rompre le septuple sceau fermant pour elle le château de la chanson hongroise où seuls avaient accès le paysan hon­grois et le tzigane hongrois. Ce sont eux qui en ont répandu le renom dans les manoirs et les cités. Et l’éloignement instinctif témoigné par l’âme populaire en face des efforts de l’Occident n’a rien que de très compréhensible: elle savait par expérience qu’après le sacrifice de son indépendance spirituelle ce serait le tour de son indépendance politique. Quand les conquérants hongrois firent leur première apparition dans le bassin danubien, c’étaient les chansons des peuples finno­­ougriens et turco-tartares qui résonnaient sur leurs lèvres. Cette musique est à jamais perdue. Le christianisme triomphant anéantit les monuments de la civilisation hongroise de l’époque payenne. Les missionnaires italiens, les religieux français, les colons allemands, les croisés, les jeunes Hongrois sortis des écoles de Paris répandirent la culture latine. Des cinq cents premières années de la vie de notre peuple, nous n’avons aucun monument où la mélodie nationale nous ait été conservée. Au XVIe siècle, quand les Turcs sont les maîtres en ce pays, l’esprit de l’Orient et les Tziganes venus de Turquie éveillent chez le peuple hongrois l’atavisme musical encore sommeillant. La force de l’invasion ottomane brise dans notre musique tous les traits étrangers. L’âme de la race se fait enfin entendre, mais sa voix est faible encore, dépourvue de tout dynamisme et de toute force expansive. C’est d’en bas, des profondeurs qu’elle arrive, des cou­ches mystérieuses de l’âme, et elle ne tarde pas à s’éteindre. Les XVIe,

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