Aranka Hübner (1982)
Aranka Hübner On voit de nos jours s’effondrer les uns après les autres ces édifices spectaculaires en béton précontraint, supposés si incroyablement solides, dont l’architecture des années soixante était si fière. La matière en est fatiguée. Et que deviendra l’art du textile des années 1970 auquel les critiques sceptiques n'ont pas prédit un avenir durable? On lui reprocha les différentes matières qui se chiffonnent, se salissent, absorbent la poussière. Voilà sur le mur, depuis des années, un des ouvrages d’Aranka Hübner: un tableau de soie blanche plissée. Toutefois, elle résiste à la prise du temps, elle brille d’une blancheur de plus en plus intacte. Ce morceau de textile ne se fatigue pas, peut-être parce que l’idée y inclue est plus forte que la matière, elle ne permet pas à sa structure de s’écrouler, elle garde le brillant de la matière, prompte à jaunir, à tourner au gris. Aranka Hübner est un représentant de premier plan de la génération moyenne du nouvel art de textile en Hongrie. Au cours de la dernière dizaine d’années les amateurs du textile ont trouvé une joie sans réserve dans toutes les manifestations de son art au ton lyrique, sans faste. Sa méthode de création est inimitable, et les problèmes esthétiques et éthiques posés dans ses œuvres font apparition, avec le temps, chez toute une série de ses confrères. Au début, les œuvres d’Aranka Hübner étaient marquées par une exubérante richesse imagée où s’exploitent les particularités sensitives de la matière textile, aujourd’hui leur trait le plus caractéristique est la pureté plastique idéelle. Ses monotypes à improvisation, d’une seule couleur, nés au début des années 1970, les formes incroyablement variées, fondées sur des associations prises à la nature, peuvent être comparés surtout à certaines manifestations poétiques contemporaines, par exemple à la poésie lyrique infinie de Saint-John Perse. Ces monotypes brillants, bleus, verts ou d’un rouge fauve, sur une soie lumineuse, forment, dans la plupart des cas, des tableaux de grande dimension, mais ces œuvres, démentant leurs dimensions, visent à couvrir des espaces humains. Dans la seconde moitié des années 1970 on voyait dans le monde entier que la collectivité n’a pas accepté le défi du nouveau textile, on n'a pas tenu compte des nouvelles fonctions crées par l’art du textile, on n'avait pas besoin de la créativité inhérente, on n’a pas utilisé les possibilités du textile comme décoration monumentale hardie. Cette tendance a évidemment exercé de l’influence aussi sur les œuvres d’Aranka Hübner. Je ne pense pas en premier lieu au geste ironique d’avoir tissé «mot à mot» le billet de banque hongrois de la plus grande valeur afin de le rendre, grâce au travail manuel, plus stable. L’influence de ces dernières années se manifeste chez elle à un niveau tout à fait différent. En effet, ses dernières œuvres sont ouvertes plutôt au temps qu’à l’espace, au lieu de l’aspect sensitif c’est l’aspect idéel qui s’affirme. Telle ou telle de ses œuvres ne fixe pas, comme auparavant, le moment décisif du mouvement naturel, éruptif de la matière, elles présentent plutôt la formule matérialisée des multiples relations humaines, leur projection spatiale en changement continu. Ces relations n’ont pas une seule forme parfaite, par leur unique vérité partielle. Les nouvelles œuvres d’Aranka Hübner recèlent toujours la possibilité du changement, ce qui n’est pas autre chose qu’un effort de saisir avec plus de plénitude la vérité. C’est pourquoi elle se sert avant tout, au lieu du monotype, d’une structure plane, picturale, du plissage spatial, structuré, tout en gardant, comme matériau préféré, la soie naturelle. Un morceau de matière, plié de n’importe quelle façon, abandonné à son destin, ne pourra jamais conserver les intentions de son créateur. Cependant, grâce au plissage, l’artiste distingue deux directions: l’une est marquée par la tension, la force de la structure, l’autre par la tendresse, par la matérialité spontanée. Le long de ces deux axes apparaissent, avec une précision géométrique, toutes les vibrations de l’homme qui donne sa forme au textile. András Bán historien de l’art