Le Moment, Octobre 1938 (Année 6, no. 1084-1110)
1938-10-01 / no. 1084
BUCAREST 6me ANNEE — No. JQ84 ®U®A&EMT 18. R (IB BREZQ1ANU Rédaction, Administration Tél 3.10.40 Direction : Telephone 4.25.34 IMPRIMERIE et Ateliers de Photogravure l(Le Moment" 2. rue Arist. Demetriade. TéL 5.19.91 »lKKClmlH J ALFRED HEFTER Propriétaire i „Le Moment” S- A. Inscrit au registre de publications du Trib. d'ilfov, sous le No. 243/1938 8 Pages a Lei Journal de Bucarest QUOTIDIEN ILLUSTRÉ D’INFORMATIONS POLITIQUES. ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Â UNE IDÉE QUI GAGNE DU TERRAIN La neutralité garantie (De notre rédaction de Paris) Paris, septembre 1938 Les débats de la récente session de la Société des Nations, comme les événements si graves dont nous sommes les témoins à propos du sort réservé à la Tchécoslovaquie, attestent cette vérité devant laquelle nous avons longtemps reculé, mais qui est indéniable aujourd’hui: les petites nations ne croient plus à la sécurité collective, en laquelle elles voyaient, il y a quelques années encore, leur propre sauvegarde. Elles apparurent longtemps comme les enfants chéries de l’organisation de Genève. Celle-ci n’avaitelle pas proclamé comme un de ses principes essentiels l’égalité de toutes les nations devant le droit? Réserve faite de certaines règles relatives à la représentation au Conseil, leur avis, quelle que fût l’étendue de leur territoire, valait celui des plus grandes. Et quelquesunes d’entre elles, grâce à l’autorité de leurs chefs, ont pu jouer, à certaines heures, un rôle de direction. Cela fut notamment le cas de M. Bénès. Mais cela supposait que „la sécurité collective” était autre chose qu’un pieux idéal, que les sacrifices qu’on pouvait être appellé à lui consentir ne le seraient pas en vain et que la collecthdté au service du droit imposerait ses décisions. Comment sont-elles arrivées la conviction qu’il n’en était plus à ainsi, il est à peine besoin de le rappeler. Il y eut la guerre d’Ethiopie. Elles ne furent pas les dernières, dans une affaire où elles n’avaient pourtant aucun intérêt direct, à réclamer l’application des sanctions. Cela leur coûta. Et l’aventure se termina de telle sorte qu’elles purent avoir le sentiment d’avoir mis leur bonne foi au service d’une cause où les grandes puissances n’avaient pas toujours joué le franc jeu. Au surplus, la cause fut perdue. Il y eut surtout le réarmement de l’Allemagne. Cette fois il devenait évident que „la sécurité collective” ne serait plus assurée par de simples mesures d’ordre économique, que le recours aux armes ne pouvait être exclu, et que les grandes puissances ou, pour parler plus clairement, la France et l’Angleterre n’étant plus en état de faire la loi en Europe par le seul prestige de leurs forces unies, les sanctions (l’application de l’article 16 du pacte, comme on dit aux bords du Léman) pourraient bien signifier la guerre. L’affaire tchécoslovaque est venue combler la mesure, en montrant que devant la possibilité de la catastrophe les grandes nations préfèrent négocier que se battre — ce qui, humainement, est du reste compréhensible. Or, moins encore que les grandes nations, les petites ne veulent pas, ne veulent plus de la guerre. Quelques-unes ont bénéficié, de 1914 à 1918, à l’écart des combats, d’une situation privilégiée dont elles apprécient les avantages. D’autres ont subi de telles catastrophes qu’elles ne consentent pas à s’exposer à les revoir si leur existence n’est pas directement mise en péril. Et c’est ainsi qu’au cours des dernières années, les unes après les autres, sous des formes diverses, plus ou moins nettement, plus ou moins complètement, elles ont cherché leur salut dans un retour à cette „neutralité” dont nous avions appris, aux beaux jours de la Société des Nations, qu’elle était une conception périmée, parce que toutes les nations associées pour leur mutuelle défense devaient faire front contre l’agresseur et que, devant ce crime qu’est la guerre, personne n’avait plus le droit d’être neutre. On sait comment la Belgique, après la violation par l’Allemagne du pacte de Locarno, obtint de la France et de l’Angleterre qu’elle fût déliée de ses engagements, et comment ses deux grandes voisines acceptèrent de contracter son égard, unilatéralement, des deà voirs qui n’impliqueraient pour elles-mêmes aucun droit, même pas ce droit de passage que l’article 16 du pacte réservait aux armées réunies par la Société des Nations pour aller combattre l’agresseur. On sait comment la Suisse, après l’Anschluss, a tenu à faire préciser qu’elle n’entendait en aucune manière et sous aucune forme être responsable de la décision de la Société des Nations, qu’à AIM® BERTHOD Ancien ministre (Suite page 4) Le 29 septembre 1938 La nuit du 27 au 28 septembre restera mémorable dans Vhistoire de P humanité. La journée du 29 marquera le point d'une nouvelle époque. # * * A partir de cette nuit — à minuit — la nouvelle Europe reçoit ses nouvelles assises. La conférence des quatre, en train de terminer ses travaux, annonce déjà l'humanité que la paix a été sauà vée et que le chantier de l'édifice européen est ouvert. Hier, à minuit et demi, M. Chamberlain avait à peine reçu la réponse de M. Hitler à la lettre que lui avait remise Sir Horace Wilson. M. Hitler apporta à ses prétentions des limites, que le memorandum n’impliquait pas. 11 donna en même temps de nouvelles assurances de paix, en acceptant que les troupes allemandes ne pénètrent pas au-delà de la ligne rouge et garantissait successivement l'intégrité de la nouvelle Tchécoslovaquie. M. Chamberlain lui répondit par un nouvel appel: „Après avoir lu votre lettre, je suis certain que vouz pouvez avoir tout ce qui vous semble essentiel, sans guerre et sans délai... Je suis persuadé que nous pouvons parvenir à un accord en l’espace d'une semaine... Je ne puis croire que vous puissiez prendre la responsabilité de jeter le monde dans une guerre, qui mettrait un terme à la civilisation, pour une question à laquelle un retard de quelques jours apporterait un règlement". Après la réception de cette lettre, M. Hitler ajourna la mobilisation de 24 heures. A 2 heures du matin, l'agence ,,DNB'’ communiqua: „La nouvelle a été publiée hier soir à Londres que l'Allemagne aurait eu l'intention de proclamer la mobilisation générale aujourd’hui à 14 heures, si Prague n'avait pas accepté à cette heure le memorandum allemand. Les milieux informés allemands déclarent que cette nouvelle est fausse’“. Quelques heures passent et le monde apprend qu'aucun peuple ne désire la guerre et qu'à Rome et à Berlin, les dernières nouvelles ont été accueillies avec une joie délirante. Nous attendons pour les jours ? <1 Le célèbre spécialiste des affaires anglo-saxonnes, M. ANDRÉ SIEGFRIED, membre de l'Académie de Sciences Morales et Politiques, rentré d'un récent voyage d'études aux Unis, expose dans Etats cet article, les nombreux facteurs psychologiques et économiques qui plaident en faveur d'une intervention des Etats Unis au cas d'un éventuel conflit européen. «Ü> LES ETATS-UNIS ET Paris, septembre 1938 Après l'intervention si haute, si généreuse et si insistante du Président Roosevelt en laveur de la paix, intervention significative quant à l'orientation future de la politique extérieure des Etats-Unis, nous croyons intéressant de publier aujourd'hui cet article, écrit par M. ANDRE SIEGFRIED, professeur au Collège de France et membre de l'Académie, qui, retour d'un voyage de trois mois en Amérique, expose ici les impressions qu'il rapporte d'outre Atlantique, au sujet des questions préoccupant actuellement au plus haut point l’opinion publique européenne. Nul mieux que lui n'aurait pu tirer les choses au clair, avec plus de netteté. Il n’est pas seulement un savant et un lin observateur, mais aussi un connaisseur profond de l’Amérique, à laquelle il a déjà consacré plusieurs ouvrages universellement appréciés. * * * Quelle est, en présence de la crise européenne, la „réaction” de l’opinion américaine? Je voudrais essayer de l’analyser brièvement, d’après les impressions que me laisse un séjour de deux semaines aux Etats-Unis. C’eSt à la fois chose facile et difficile: facile, parce que, dans ce milieu jeune et profondément démocratique, il n’y a guère de secrets, chacun exprimant librement et menue volontiers son point de vue; difficile, parce que le continent est si grand que l’opinion n’arrive pas à s’unifier et demeure largement régionale. En présence d’une guerre, dans laquelle les Etats-Unis pourraient être entraînés, il existe, chez les Américains, une attitude instinctive et pour ainsi dire élémentaire: surtout ne pas s’en mêler et tout faire pour n’être pas impliqué dans l’aventure. Il n’y a pas lieu de penser que, dans la circonstance présente, cette attitude ne soit celle de la grande, de l’immense majorité. C’est en tout cas celle de l’Ouest. D s’agit d’une région profondément terrienne, sans relations internationales, dont la psychologie est en somme provinciale. D ne suffit pas de dire que les gens s’y méfient de l’Europe: l’Europe leur est indifférente, et même ils ne la connaissent pas. Toute politique d’intervention se heurte nécessairement à cette résistance massive, qui donne l’impression de quelque chose d’impénétrable. Je crois avoir résumé, en ces quelques mots, ropinion de la masse du peuple; mais, si je m'arrêtais ici, je laisserais dans l’esprit du lecteur l’impression la plus L’EUROPE fausse, parce que l’attitude des politiques conscients, parce que celle des minorités agissantes ou agitées sont tout autres. Or, dans ce pays de grands mouvements de masse, qu’il est possible, par des procédés éprouvés, de diriger, l’opinion demeure sans doute la maîtresse suprême, mais une propagande bien organisée façonne en fin de compte cette opinion. En 1916, le président Wilson avait été élu pour ne pas faire la guerre: il l’a faite cependant, avec toute l’opinion derrière lui. * * * L’attitude des politiques est la plus intéressante à envisager. Ils ne l’expriment pas. On ne sait pas encore exactement, après vingt années, la raison profonde, décisive, qui a entraîné les Etats-Unis dans le grand conflit européen, mais il est possible de s’en douter; et, si l’Amérique participait, une fois encore, à une guerre mondiale, ce serait probablement pour une raison analogue. Voici, à cet égard, ce que je crois discerner. H existe une civilisation anglosaxonne, commune aux Etats-Unis et à l’Angleterre, et cette civilisation, depuis la fin du dix-huitième siècle, domine effectivement le monde sous la direction internationale de l’Angleterre: quand on quitte les rivages de l’Europe, on entre dans une sorte de république mercantile internationale qui fonc-ANDKÊ SIKOFRiBD de l’Académie des Sciences morales et politiques (Suite page 6) LIRE PAGES 6 ET 7 : LES DELIBERATIONS DE MUNICH -j i= prochains une conférence à sept. Nous attendons aussi une nouvelle conférence européenne. Nous attendons la résurrection de la SDN, et nous espérons que tout le monde sera persuadé que l'Europe est trop vieille pour supporter une grande guerre et plus assez jeune pour se donner à un seul homme. Entre temps, la Tchécoslovaquie évacuera jusqu'au 10 octobre les territoires sudètes, à majorité al-lemande sous le contrôle des légions franco-britanniques. Une commission internationale se substituera à l'institution du plébiscite et devra fixer jusqu'au 25 novembre les limites extrêmes du territoire abandonné et le régime du territoire à population allemande qui restera dans les limites des nouvelles frontières tchécoslovaques. L'Allemagne garantira l'intégrité de la nouvelle Tchécoslovaquie et le Duce, fier de sa grande mission de médiateur, pourra dire en rentrant à Rome qu’il a gagné la plus grande victoire, celle du César de la Paix. Les peuples n'ont pas voulu la guerre. Aucun. Aucun. Seule, les Tchécoslovaques l’auraient acceptée pour sauver leur honneur. ALFRED HEFTER LA PLACE ROYALE A MUNICH A gauche la MAISON tta FUEHRER, siège de la Conférence des Quatre« SAMEDI, 1 OCTOBRE 1938 collaborateur intime du Premier britannique, lequel vient de jouer un rôle de premier plan, tant comme interprète que comme messager entre MM. Chamberlain et Hitler SIR HORACE WILSON La vie privée de Robespierre par BERNARD NABONNE Paris, septembre 1938 Quand il advenait au grand historien de la Révolution française qu‘a été Albert Mathiez d'interroger un candidat à quelque diplôme universitaire, il manquait rarement de lui poser cette question, au demeurant, fort embarrassante: „Quel est à vos yeux, Monsieur, le plus grand homme de l’Histoire ?”. Alexandre, César, Gustave-Adolphe, Pierre-le-Grand, Frédéric II, Napoléon, au gré des admirations personnelles tous les noms illustres défilaient. Mais fronçant le sourcil, Albert Mathiez coupait net: „Le plus grand homme de l'Histoire, Monsieur, c'est Ce culte robespierriste dont Albert Mathiez a été, depuis que la rideau est tombé sur la tragédie, l'unique dévot, il n'a connu, en réalité, qu'une journée — unique, elle aussi — d'apothéose: ce -30 septembre 1791, qui marquait la fin de la Constituante, où la foule jacobine exigea que le buste du „héros de la Constitution’“ fût suspendu à un lustre, „afin que la lumière frappât de tous côtés l’image de celui qui la répandait partout". En cette heure de délire, le demi-dieu avait trente-deux ans. Mirabeau, naguère, avait dit de lui: „Ce petit Robespierre ira loin; il croit tout ce qu’il dit". Il ne devait pas aller loin. On ne va jamais loin sur la route de la terreur. Sa seule force était de faire trembler; c'est une force qui se retourne immanquablement contre qui en a trop joué. Les témoignages des contemporains, recueillis hier par M. Louis Jacob, ne laissent-ils pas prévoir dès la jeunesse que chouera dans le rôle l'homme éformidable qu'il entendra tenir sur la scène révolutionnaire? Ecoutez ce que dit de lui — après Thermidor, bien entendu — son ancien condisciple du lycée Louis-le-Grand, Fréron. „II n'avait aucune des qualités du premier âge. Point communicatif, nul abandon, nul épanchement, nulle franchise, mais un exclusif amourpropre, une opiniâtreté insurmontable, un grand fond de fausseté! On ne se rappelle pas l’avoir vu rire une seule fois. Il gardait profondément le souvenir d’une injure; il était vindicatif et tçgître, sachant déjà dissimuler son ressentiment". Ecoutez encore — c’est en 1792 — Pétion ajoutant quelques traits au portrait cruel: „II aperçoit partout des complots, des trahisons, des précipices. Son tempérament bilieux, son imagination atrabilaire, lui présentent tous les objets sous de sombres couleurs; impérieux dans ses airs, n’écoutant que lui, ne supportant pas la contrariété, ne pardonnant jamais à celui qui a pu blesser son amourpropre et ne reconnaissant jamais ses torts; croyant toujours qu’on s’occupe de lui et pour le persécuter; voulant par-dessus tout les faveurs du peuple". A. BERTRAND (Suite page 2)